26 semaines et quelques grammes
Petite
Marie
Par
Claudine Rongione
Il n’y avait pas longtemps que
je pouvais signer officiellement à titre d’infirmière dans les dossiers quand
j’ai fait ta connaissance au début de mon quart de nuit. Tu avais 26 semaines et quelques 800 grammes.
Les tubes, fils et cathéters faisaient partie de ton coffre à jouet. Tu étais si mignonne avec tes grands yeux
bleus, ta tête toute ronde, ta peau rose comme une fleur, mais légèrement
plissée comme une feuille froissée. Tu
venais d’arriver de ta lointaine région, seule, sans tes parents. Déracinée… Trop précieuse. Je t’ai parlé à travers le hublot de ton
incubateur. Tu agitais les bras et les
jambes vers le haut comme si tu nageais vers la surface de l’eau. J’ai posé mes mains sur toi. Le calme est revenu puis tu m’as
regardé. Ce fut le premier contact d’une
longue série de nuits où je t’ai surveillé, soigné, dorloté, parlé et analysé. Je t’ai présenté ta colocataire, Chloé. Vous faisiez une bonne paire. Elle était surexcitée et toi, calme. Elle semblait te lancer des blagues à travers
la vitre de son couvoir, car tu paraissais les rire. Je vous tournais fréquemment l’une face à
l’autre afin que vous puissiez vous observer de loin, même si je savais profondément
que votre vision n’était pas si développée!
Mais laissez-moi rêver un peu! Au moins, vous n’aviez pas la sensation
d’être seules… que je me plaisais à le penser!
Dès la première nuit, ta mère,
inquiète, a téléphoné pour prendre de tes nouvelles. Elle était si loin, encore hospitalisée et
dans sa voix chevrotante, j’ai perçu de l’angoisse et de la peur de te
perdre. J’ai tenté du mieux que je
pouvais de la rassurer, puisque tu allais bien… enfin pour un bébé
prématuré! Nous convenions donc d’un
rendez-vous téléphonique quotidien vers 1h00 puis ensuite 6h00 afin de donner
des nouvelles. Elle ne pouvait de toute
façon pas dormir me disait-elle. Comment
avez-vous décidé de la prénommer?
«Marie» (nom fictif pour les
besoins du texte) me répond ta maman, «tout comme ma mère.. c’est ma petite
dernière». Marie… Si petite… Il me vient
rapidement à l’esprit que tu es la Petite
Marie dans la chanson de Francis Cabrel : je viens du ciel… et les étoiles entr’elles… ne parlent que de toi…
Puis les journées
supplémentaires t’avaient permises de te détacher tranquillement des tubes et
appareils afin de mieux respirer. On
apprivoisait alors LA FORCE avec un petit masque de style Dark Vador... Ta mère sortait
alors de l’hôpital et tentait d’organiser transport et placement temporaire de
tes autres frères et sœurs, car tu n’étais pas seule. Une sonde gastrique te permettait de prendre
du poids, d’arrondir, d’embellir.
Ma dernière nuit auprès de toi
avant mon congé, ton moniteur chantait plus qu’à l’habitude et résonnait dans
ta chambre comme un appel à l’aide fréquent.
J’étais là. Je t’observais. Je
traitais. Je te soignais. J’avisais l’équipe médicale au constat de ton
petit ventre arrondit drôlement. Au
téléphone avec ta maman, elle me demandait, comme les autres fois : «Combien
d’apnées Marie a-t-elle faites aujourd’hui?»
«Plusieurs malheureusement…» fut ma réponse. Le silence à l’autre bout du fil. Je l’entendais pleurer en silence. Puis je tentais à nouveau de la rassurer tout
en lui donnant les informations justes.
Quelle ne fut pas ma déception
à mon retour de congé de ne plus te retrouver auprès de ta colocataire. Dans la chambre adjacente, j’entendais les
sonneries du moniteur crier ton désespoir et projeter des chiffres presque
surréalistes qui clignotaient et dessinaient de drôles d’ombres inquiétantes. Lorsque j’aperçu, ce que je devinais être ta
mère, à ton chevet, je m’approchais près d’elle pour tenter de lui insuffler
réconfort. Le lien était là. D’autres
professionnels plus expérimentés avaient pris ma relève, mais je pouvais
exercer mon rôle de soutien auprès de cette femme dont les yeux criaient sa
détresse.
Tu as été le premier petit
ange de ma carrière. Je ne pourrais
jamais t’oublier. Et tu as fait de moi,
l’infirmière que je suis devenue.
Encore aujourd’hui, lorsque
j’entends TA chanson… mes pensées s’envolent vers toi.
Petite
Marie… sous un ciel aussi joli… que des milliers de roses…
Chaque infirmière a eu un jour un petit être qui a fait d'elle ce qu'elle est devenue comme professionnel de la santé. Toi, belle Claudine, tu as en plus le grand talent de la plume. En attente d'autres récits à lire.
RépondreEffacerÊtre infirmière nous apporte tellement au niveau professionnel, mais immensément plus au niveau personnel et humain...
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