Le plus beau moment !
On
entend souvent : c’était le plus beau jour de ma vie! - Pour désigner un
mariage, un premier baiser, un bal de finissant, une naissance…
Accoucher! Est-ce le plus beau jour d’une vie? Être en douleur intense pendant des heures et
des heures, ne pas dormir, ne pas se reposer, pousser avec la nette impression
qu’il n’y aura que des hémorroïdes qui vont sortir… Je crois parfois que les
gens confondent le jour avec le
meilleur moment, la plus belle
rencontre d’une vie! L’instant tout
spécial où l’on prend entre ses bras ce petit être qui va changer le cours de
notre vie et qui va nous faire oublier cette petite phrase criée plus
tôt : «je n’en aurai plus jamais d’autres!»
À
mon premier accouchement, lorsque cette fichue de journée interminable a enfin
connue une fin intense… Je me suis retrouvée à contempler ma fille qui reposait
doucement sur moi et m’observait avec un regard voilé de curiosité. Une certaine sérénité s’était installée soudainement,
apaisant les battements de nos cœurs. Se
deviner… Se reconnaître… S’observer… Nous nous aimions déjà… Puis j’entendis
des pleurs tout près de moi que je qualifierais même, de sanglots. Je tournais alors mon attention à gauche pour
entrevoir une jeune homme, penché sur ma fille et les traits de son visage
complètement transformés par les émotions.
Je demeurais subjuguée et à la fois très perplexe… Qui était cet homme
ému? Puis subitement, comme une révélation soudaine venue de je ne sais trop
où… Je le reconnaissais enfin… Ma mémoire refaisait surface après ce long
périple qu’avait été ma journée de travail intense. C’était l’étudiant en médecine externe qui
avait assisté mon obstétricienne durant l’accouchement. Lorsqu’il daigna enfin tourner ses yeux vers
moi, comme avec la sensation que nous l’observions, il m’offrit son plus beau
sourire à travers ses larmes. En
hoquetant et en s’exprimant par syllabes, il me dit : «merci, c’est mon
premier accouchement… Je m’en souviendrais toute ma vie!». Et moi de répondre : «de rien… moi aussi
c’est mon premier accouchement et je vais me souvenir de vous toute ma vie!»
Je
me suis interrogée longuement sur ce petit épisode dans ma grande aventure. Comment un professionnel de la santé peut en
venir à ressentir de telles émotions pour des étrangers? Aujourd’hui, je
travaille quotidiennement auprès de ces femmes qui accouchent. Je les accompagne tout au long de cette
journée mémorable afin de vivre avec eux ce plus beau moment de leur vie.
Je
ressens beaucoup de frustrations lorsque je lis parfois des textes sur internet
qui dénoncent une «violence» en médecine obstétricale et qui dénature
l’accouchement. Quand des patientes me
disent que nous, les membres du personnel, devons être «blasés» de voir des naissances
à tous les jours, je leur réponds : non!
Je ne suis pas insensible à ces petits êtres venus au monde, au
contraire, je me trouve très privilégiée de faire partie de ce grand moment
dans la vie des gens. Il est certain que
je ne suis pas aussi émotive que le jeune homme qui a assisté à mon
accouchement, mais il m’arrive d’être touchée, remuée, sensible à l’émotion que
vit une femme nouvellement mère ou que vit un homme qui se laisse bouleverser
devant la vie. Je sens à l’occasion cette bouffée de chaleur
me monter au visage, mes yeux se mouiller, la petite boule dans la gorge nouer
ma voix… Devant cette jeune mère de 17 ans qui regarde son bébé avec une grande
appréhension… Ou devant cette femme qui tient dans ses bras le premier bébé
vivant après plusieurs traitements en fertilité… Ou devant ce père qui observe,
avec toute la peine au cœur, son bébé qui est devenu un petit ange trop tôt… Il y a malheureusement des moments moins
heureux pour certains parents, mais nous sommes là également pour les
accompagner dans leurs tristesses, leurs colères…
Je
fais juste le plus beau métier du monde, soit celui d’être infirmière, dans ces
moments mémorables! Vivre fréquemment la
naissance, le deuil, le doute, l’inquiétude, la joie... me remplissent de
grandes espérances en la vie!
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