Mémoire oubliée
LE JOUR OÙ JE SUIS DEVENUE SA SŒUR…
Dans ma
vie, j’ai eu deux grands-mères extraordinaires.
Aujourd’hui, je vais vous parler de l’une des deux, soit ma grand-mère
paternelle. J’ai développé une relation
privilégiée avec elle dès mon jeune âge.
Elle était tout ce dont était composée une grand-mère aimante, douce,
chaleureuse, ricaneuse et aimant gâter ses petits-enfants.
Elle
avait un petit côté anxieux qui lui conférait un charme à laquelle personne ne
pouvait résister. Elle s’en faisait pour
un rien, pour l’ensemble des membres de sa famille. Cette femme si forte, si dominante, si matriarcale,
croyait en l’astrologie et… Écho-Vedettes. Elle lisait l’horoscope quotidien et lorsqu’on
y prévoyait un événement particulier, elle nous appelait pour nous en aviser,
et par la même occasion, nous informait des potins artistiques, si importants
pour elle. Une belle rencontre, un
malheur au travail, une amitié qui se perd, le grand amour… Toutes ses
angoisses verbalisées, nous accrochaient un sourire pour le restant de la
journée! On savait à quoi s’attendre.
Je me
souviens avec nostalgie de ses histoires si bien racontées, ses émotions
palpables, les découvertes du marché Jean-Talon, les boutiques de la Plaza
St-Hubert, les croissants de la pâtissière du coin de sa rue. Elle avait le regard pétillant lorsqu’elle me
dévoilait ses péripéties de jeunesse qui étaient très nombreuses, et remplies de
belles chansons italiennes et d’humour.
Les valeurs
familiales et l’amour inconditionnel, étaient ses motivations premières. Lorsque j’étais toute jeune, elle ne cessait
de me dire que plus tard, je deviendrais une Sainte, tout comme elle… Elle en était persuadée! J’ose croire que je suis la seule à qui elle
l’aura dit… bref… passons… « Qu’est-ce
qu’une sainte? » Lui demandais-je candidement. « Une personne dévouée à sa famille et
aux autres » me répondit-elle. Ah
bon… Je pense qu’elle avait un excellent jugement!
Puis, il
est venu le jour où son corps montrait des petits signes de fatigue. J’étais adolescente, partais en métro et
autobus, allais la rejoindre et l’accompagnais chez le médecin à l’occasion. Je partageais alors avec elle de petits
moments de complicité. Elle me laissait
entrer dans cette grande intimité qu’était celle du dévoilement total de son
corps et son être face au médecin… qui selon ma grand-mère devait être le
deuxième en importance après son Dieu…
Jeune
adulte, j’avais l’impression de perdre petit à petit les pétales de la rose qu’elle
était, qu’elle représentait pour moi. Son discours commençait à être erratique à l’occasion. Elle se mélangeait dans ses histoires de
fantômes. Elle voyait des conspirations
provenant de la télévision. J’en
riais. Trouvais la situation parfois
amusante, car l’humour faisait partie d’elle.
La
mémoire est une faculté qui oublie… dit le proverbe. Eh bien, moi, je chérie cette mémoire de femme. Cette mémoire qui m’ouvrait des horizons
inexplorés, où l’imagination était débordante.
Le diagnostic
est alors tombé, telle une masse menaçante qui ébranle le plus petit des doutes…
L’Alzheimer! À cette époque, je me rappelle
m’être dit que c’était mieux ainsi plutôt que de la perdre pour toujours… Elle resterait ma grand-mère que j’aime de
tout mon être. C’était se leurrer…
Petit à
petit, elle se fanait, telle une fleur qui avait été si longtemps parfumée et
colorée. La rosée ne perlait plus et
glissait sur elle, ayant perdue la capacité d’absorber l’eau précieuse pour s’en
nourrir.
Le jour
est venu où, étrangement, elle me fixa pour la première fois avec une émotion
dans les yeux. Je me suis dit, la revoilà! Puis elle se mit à rire et à me tendre les
bras. Je m’y blottie avec chaleur et
bonheur. Elle prit alors mon visage
entre ses mains fripées et me souffla : « que tu es belle ma sœur… je
me suis tellement ennuyée de toi… où étais-tu? »
Et
vlan! J’étais devenue sa sœur. Mon identité de petite fille avait disparu l’espace
d’un instant. Je me souviens être
devenue très émotive et lui avoir dit qu’elle se trompait. Je suis rentrée chez moi en pleurant. Ce fut une des pires journées de ma vie. Voici le deuil qui commençait. Je ne pouvais croire qu’il était venu le
temps de faire le deuil d’une personne encore vivante… Alors j’y retournais à nouveau. Parfois, j’étais son amie de jeunesse,
parfois j’étais sa fille… « J’embarquais » alors dans ses histoires,
parce que je voulais revivre encore de beaux moments magiques, car durant ces
périodes, elle redevenait la femme extraordinaire que j’avais connue. Elle ne m’a plus jamais reconnue. Je ne m’en étais pas offusquée. Elle parlait très souvent de moi… à son amie,
à sa fille, à sa sœur… J’étais seulement
heureuse qu’elle ne me prenne pas pour son pire ennemie! Sinon, je pense que j’aurais passé un mauvais
quart d’heure! Il est alors venu le
temps où la parole n’était plus là. Ses
absences plus longues… Sa mémoire
oubliée…
Aujourd’hui,
elle me manque cruellement. Mais la richesse
de son héritage est la plus belle chose qui puisse guider mes pas. Elle s’appelait Rose, comme la fleur. Comme cette fleur que j’adore. Et quand je hume le parfum des roses, mes
pensées vont vers celle qui a su m’inspirer dans plusieurs sphères de ma
vie. Je t’aime. Je t’aimerai. À cette mémoire qui t’a quittée… avant nous…
Commentaires
Publier un commentaire